S'évader

Comme un bon dessert, cette rubrique vous fait voyager, vous detend et vous fait rêver.


Avant le début

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À la différence des étendues continentales qui se sont élancées à pas comptés dans l’océan pour créer, au fil des millénaires, le monde d’aujourd’hui, c’est par les éructations lentes d’un point volcanique sous-marin qu’est née l’île Maurice il y a dix millions d’années. Terre magnifique et éblouissante pour Baudelaire, perle de l’océan Indien selon Conrad… Île Maurice, qui es-tu vraiment ?

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« Une immense loterie »

C'est par ces termes que Pierre Baissac, président de la Royal Society of Arts and Sciences de Maurice, définit la colonisation naturelle de l’île. Perdue au milieu de l’océan, tout semble en effet contre l’avènement d’une vie propre à cette virgule de terre. Le territoire le plus proche, Madagascar, est à plus de 1 000 kilomètres, entouré d’un océan d’une profondeur vertigineuse. Et pourtant… Poussée par un courant marin, sur un radeau de végétation, ou entraînée par une bourrasque, mue par le souffle d’un cyclone, la vie débarque sur les rives de l’île… presque fortuitement !

Car quelles sont les chances qu’un arbre tombé en mer, transportant plantules et animaux à sang froid – les seuls pouvant survivre à une telle traversée –, l’atteigne ? Que ces insectes et chauve-souris, arrivés par hasard, trouvent la nourriture qu’il leur faut et un partenaire pour perpétuer leur espèce ? Que le niveau de l’océan connaisse une baisse impromptue, permettant aux tortues géantes malgaches et comoriennes de se lancer à la découverte d’autres contrées ? Que ces graines, figées dans la boue incrustant la patte d’un oiseau migrateur, ou encore acheminées à travers l’appareil digestif d’une chauve-souris, puissent trouver le terreau qui leur permettra de germer ? 

Ces nouveaux venus font face à un processus d’adaptation ardu, marqué par un travail de réciprocité époustouflant entre plantes et animaux. De cette symbiose sont nées une faune et une flore particulièrement riches : sur 700 plantes indigènes des Mascareignes, 300 espèces n’existent qu’à Maurice. « Nous avions dans nos forêts, à l’époque, l’une des plus fortes densités d’arbres au monde. Ce mutualisme entre espèces et le manque de prédateurs ont aussi permis l’apparition d’espèces géantes, aujourd’hui disparues, comme le dodo, le perroquet bleu, la tortue – ces deux dernières comptant parmi les plus grandes au monde », explique le Dr Vikash Tatayah, directeur de la conservation à la Mauritian Wildlife Foundation.

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Et la civilisation fut

Repéré par les Arabes, ce paradis perdu où se sont épanouies durant des millénaires des générations d’espèces uniques est plus tard accosté par les Portugais. Ils y laisseront des rats et quelques chats, enclenchant déjà subrepticement la fragilisation de la biodiversité mauricienne. En 1598, ce sont les haches et les pioches hollandaises qui commencent vraisemblablement à balafrer l’île à travers de grands défrichages. « Commence alors une coupe à outrance des ébéniers, bois très prisé, mais aussi d’autres bois utilisés pour la charpenterie », raconte Pierre Baissac.

Peu à peu, les réserves naturelles de l’île s’amenuisent. Les animaux disparaissent, chassés, tels les dugongs, pour leur chair, ou encore les dodos, dévorés à même l’oeuf par les rats venus d’Europe, ou affamés par la déforestation. « Pierre Poivre parle déjà des atteintes faites à la nature, notamment des plantes, et tire, en écologiste avant-gardiste, la sonnette d’alarme », dit Emmanuel Richon, directeur du Blue Penny Museum. Mais rien n’y fait. « À cette époque, les colons voyaient la nature comme pouvant être exploitée à l’excès. Aujourd’hui, nous avons perdu une trentaine d’espèces d’animaux et environ 10 % de notre flore », poursuit le Dr Tatayah.

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Effet domino

La déforestation s’accompagne d’effets désastreux. « Un arbre héberge tout un écosystème et une faune faite de bactéries, de champignons et d’animaux, dans son sursol et son sous-sol. Sans cela, la terre devient stérile et nécessite des fertilisants », explique Pierre Baissac. Jean-Marie Sauzier, l’un des fondateurs du projet Tiny Forest, ajoute : « Au départ, quand les Hollandais se mettent à planter la canne, elle pousse de façon fulgurante car le sol est très riche. Aujourd’hui, notre sol est extrêmement appauvri ».

Mais cette richesse naturelle, délitée par l’emprise de la civilisation, n’est pas condamnée : de nombreux efforts tentent aujourd’hui, avec succès, de restaurer l’âme de l’île. Parmi ses plus grands défenseurs, la Mauritian Wildlife Foundation. Elle effectue depuis près de 40 ans un travail titanesque, sauvant in extremis de nombreuses espèces au bord de l’extinction. Parmi celles-ci : la crécerelle, passée de 4 individus dans les années 1970 à environ 350 aujourd’hui, ou encore le pigeon rose, passé de 9 individus vers 1990 à quelque 550. 

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« La seule solution : restaurer les forêts et limiter les prédateurs », avance le Dr Tatayah. Cette philosophie trouve un écho chez les initiateurs du projet Tiny Forest. Leur démarche, inspirée du travail du botaniste japonais Akira Miyawaki, vise à recréer les forêts d’antan en format réduit. « L’idée est de créer des sortes de ponts à travers l’île, pour favoriser une flore et une faune qui auraient autrement disparu », explique Allain Raffa, membre du collectif. Trois ans plus tard, le projet compte déjà une dizaine de petites forêts.

Quelques gouttes d’eau, peut-être… ou les prémices d’un océan ?

@Aparte_Mag